Moi, chanteuse ? [PV Roseline]

Roseline attendit la fin de la prestation, le sourire aux lèvres. Les habitués du bar acclamèrent l’inconnue, exprimant leur admiration pendant quelques dizaines de secondes. La jeune fille sur scène avait semblé novice en matière de prestation publique, mais relativement à l’aise - du moins, c’était l’impression qu’elle avait réverbérée à Rose. La chanteuse salua la foule d’un geste discret, réveillant un peu plus encore l’intérêt du public, et inutile de préciser que la jeune fée, fan de pop-rock comme de tous les autres genres de musique, avait apprécié la mélodie et ce concert miniature comme il s’en devait. Mais elle ne bougea pas directement, se contentant de regarder et préférant laisser passer la cohue avant de juger d’une réaction appropriée.

Pendant ce temps, filant vers le comptoir, la demoiselle aux yeux d’un bleu pur avait discuté quelques instants avec Klaus et commencé à siroter un cocktail, tandis que l’agitation de la salle retombait doucement. Désormais, cinq mètres tout au plus séparait les deux jeunes filles. Rose, son verre terminé, jugea finalement et après réflexion le moment opportun, et se leva élégamment tout en se dirigeant vers l’avant du bar. Entre laisser l'inconnue vivre sa vie ou rencontrer quelqu'un doté d'une si jolie voix, son choix avait très vite été fait -et son intérêt titillé-, évidemment ! Personne ne sembla la remarquer déambuler dans la pièce, ou alors elle n’y prêta pas attention tant elle était intriguée. D’autorité, arrivée à son but, elle s’assit sur un tabouret haut en osier placé juste à côté de l’inconnue, demanda à Klaus de remplir son verre (qu'elle avait déjà posé sur le comptoir), et souriant à son interlocutrice, lança d'une voix légère :

La jeune fée sourit en écoutant son interlocutrice, brillante d'enthousiasme, et prêta attention à sa réponse. Elle avait postulé pour un travail de chanteuse, et il semblait qu'elle était effectivement prise, vu la qualité de sa prestation. La raison pour laquelle Rose ne l'avait jamais croisée était tout bonnement parce qu'Aerin –elle apprit ce nom quelques instants plus tard- n’était jamais venue au Frutti Music Bar, que Rose, elle, fréquentait régulièrement. Elle prit alors conscience qu’on lui avait posé non pas une, mais deux questions, sur le temps de sa réflexion.

Cela faisait plaisir à la jeune fée de prendre contact avec une adolescente de son âge. La plupart des connaissances qu’elle avait fait sur l’île ne sortaient que très peu, et Rose ne les voyait pas souvent. Doucement, un sentiment de solitude s’était imposé en elle ; et elle détestait ça. Elle avait constamment besoin d’être entourée, aimée, protégée. Surtout si loin de chez elle, séparée par un océan de Londres. C’était sa dose de lumière dans la vie. Le Frutti Music Bar et son ambiance lui devenait décidément indispensable ! Elle réfléchit également à ce travail, dont elle avait parlé. Son compte commençait à fondre comme neige au soleil, et elle ne tiendrait bientôt plus le rythme. Travailler ici serait une bonne alternative, probablement amusante ! Elle devrait penser à en toucher deux mots à Klaus, et peut-être la chance lui sourirait-elle. Elle s'imagina un instant préparer des cocktails au comptoir, ou les servir en arpentant les tables. A cette pensée, étrangement, son sourire s'élargit encore.

Roseline fut au premier abord étonnée par ce qu’elle venait d’entendre, même si elle ne montra pas par pure politesse. Elle n’aurait pas soupçonné qu’Aerin était une fée, mais plutôt une magicienne ou un quelconque autre être surnaturel. Certes, il se dégageait d’elle la lumière et le courage caractéristique de cette race, mais son apparence avait laissé présager à Rose que sa nouvelle connaissance était bien plus extraordinaire encore. D’un genre plus rare, ici, à Gardenia. Mais après tout, Roseline était elle-même une hybride, mi-fée mi-sorcière (bien qu’elle dissimula rapidement cette pensée peu réjouissante, elle qui gardait en secret sa partie sombre), ce qui lui rappela que les apparences pouvaient cacher bien des choses. Elle avait beaucoup à apprendre, et avait envie d’en apprendre plus, sur Aerin. Son prénom avait une sonalité…celtique, peut-être ? Elle eut l’impression d’une évidence énorme, mais qu’elle ne pouvait percevoir. Une bien étrange sensation, qui ne dura cependant que quelques secondes.

Elle rit face à sa propre maladresse, se disant qu’elle ne saurait décidément jamais contrôler son impulsivité et son manque résonnant de tact ; un comble pour une Anglaise ! Après leur discussion, Rose décida de prendre la dernière suggestion d’Aerin –travailler au Frutti Music Bar- comme un signe du destin, elle-même ayant songé sérieusement quelques secondes plus tôt à cette alternative. Le poste de serveuse lui conviendrait parfaitement : elle serait suffisamment adroite, avec un peu d’entraînement, pour mener à bien sa tâche ; elle reverrait Aerin, et elle connaissait déjà pas mal de clients habitués des lieux ! Et puis, vu le temps qu'elle passait déjà ici pendant ses journées libres, autant qu'elle soit rémunérée...La bonne volonté et la sympathie de son interlocutrice la convainquirent finalement de tenter sa chance. Son intuition, rarement trompeuse, lui souffla également que c’était une idée excellente, qui aboutirait à quelque chose.

Aussi appela-t-elle Klaus, qui se dirigea vers elles. Attendant l’heure de vérité, elle lui demanda discrètement s’il avait besoin d’une employée supplémentaire...Et reçut une réponse par l’affirmative.

Les choses s’arrangèrent rapidement. Klaus interrogea en quelques minutes Rose sur ses motivations, sur ses connaissances du métier, sur sa capacité à effectuer un travail sérieusement, mais la connaissant bien et ayant pu constater de lui-même qu’elle passait une grande partie de son temps libre au Frutti Music Bar (et connaissait par cœur tous les noms et compositions des cocktails, mais ça, c’est une autre histoire…), il accepta sans trop tarder et sans même la mettre à l’épreuve que la jeune fée devienne serveuse dans son établissement. Soit parce qu’il avait suffisamment confiance en elle, soit parce qu’elle s’était particulièrement illustrée durant son très bref entretien d’embauche, ou simplement parce qu’il ne souhaitait pas perdre une de ses meilleures clientes, se dit Rose en réprimant discrètement un fou rire. Elle commencerait à gagner son salaire dès le lendemain, à midi. Une fois toutes les formalités réglées, le patron se retira prendre la commande de nouveaux arrivants, laissant les deux nouvelles connaissances –ses employées- discuter à leur aise. Rose fut touchée par l’enthousiasme évident d’Aerin, aussi lui sourit-elle avant de répondre d’un ton enjoué :

Elle se sentait liée à la jeune elfe, comme particulièrement à l’aise en sa présence, sans doute parce qu’elles se ressemblaient beaucoup. Elle décida donc pour l’apaiser et pour, d’une certaine façon, s’excuser de son indiscrétion (elle lui avait tout de même dit qu’elle était « spéciale », ce qui pouvait se prendre négativement), de lui révéler à son tour sa nature profonde. Elle ne le faisait jamais, assumant difficilement qu’elle n’était pas qu’une fée, mais ça lui sembla se prêter parfaitement à la situation. Dès lors, elle ajouta presque naturellement :

Elle adressa un clin d’œil joyeux à Aerin, tout en sirotant le tout dernier cocktail qu’elle paierait avec ses économies de Londres, et attendit de voir la réaction de son interlocutrice. Rose ne savait pas grand-chose des elfes, il fallait l’avouer, mais ces êtres étaient fascinants, d’après les légendes qu’elle avait entendues sur eux durant son enfance et qui l’avait marquées. Tout ça promettait !

Entre leurs rires, la conversation de prime abord légère entre les deux jeunes filles dévia vers un sujet plus sérieux : leur nature d’hybride. Rose sourit lorsqu’Aerin lui révéla qu’elle pensait que son côté dominant était la fée en elle ; elle avait raison. La jeune fée avait dès son plus jeune âge enfoui inconsciemment la sorcellerie au fond d’elle-même, de part son pouvoir : la lumière. Incompatible avec la magie noire, évidemment. Elle se demanda un instant ce qu’il serait advenu si elle était devenue une créature plus sombre des années plus tôt, à l’instar de sa petite sœur de cinq ans, qui semblait –bien que fort jeune- diriger ses pouvoirs vers les ténèbres. Roseline ne serait probablement pas celle qu’elle était aujourd’hui, cet être joyeux et lumineux, mais qui sait ? Elle eut un pincement au cœur en pensant à sa famille, de l’autre côté de l’océan, mais il ne lui serra la poitrine qu’une seconde. En effet, la vie loin des siens et l’indépendance se révélaient moins difficiles à supporter qu’elle ne l’aurait pensé. Les gens ici, loin de l’élitisme qui pouvait régner à Londres, étaient ouverts et très sympas, à l’image d’Aerin. Rose avait d’elle-même choisi de venir à Teenage Island, pour voyager, et assumer ce choix était en fin de compte plutôt simple ; voire agréable !

Perdue au milieu de sa réflexion, quelque chose lui traversa l’esprit. Aerin avait confirmé sa double nature, mais Rose n’avait pas posé d’avantage de questions. Elle se sentait assez à l’aise avec son interlocutrice pour souhaiter en savoir plus sur elle. Or, elle ne connaissait rien aux elfes, du moins si elle ne se fiait pas aux contes de fées qu’on lui racontait des années auparavant à l’heure du coucher et qui les dépeignaient comme des êtres tout-à-fait mythologiques et à part de toute autre créature magique. Aussi décida-t-elle de demander à sa nouvelle connaissance plus d’information sur le sujet :

En observant Aerin parler de sa famille, Rose sentit la jeune fille plus émue que durant les minutes qui avaient précédé. Le fait que la jeune elfe évoque ainsi son histoire familiale lui rappela brusquement la sienne, et les souvenirs qui s’ensuivirent lui piquèrent les yeux ; un loft au deuxième étage d’une maison de Londres, sous la neige…Une petite fille aux lourdes boucles blondes jouant sous le regard attendri de sa grande sœur…Un taxi, puis un avion, des signes de la main, le bruit du décollage…La douleur de la séparation, pour finir, qui lui serra le coeur. Roseline n’était à cet instant plus en Californie, mais dans une toute autre région. En Angleterre, auprès des siens, très loin de là.

Le regard éteint de la jeune fée se perdit un instant sur la plage, que l’on pouvait apercevoir à travers la vitrine du Frutti Music Bar, éclairée par la douce lueur du soleil de fin d’après-midi. Elle se demanda si l’océan Pacifique et l’océan Atlantique se ressemblaient. Mais elle se reconcentra rapidement sur la conversation, tandis que les premiers clients de la soirée entraient dans l’établissement en riant.

« Tu as des aspects elfiques, mais d’autres plus classiques, je vois. Je maintiens que tu es spéciale, dans le bon sens du terme.» dit-elle d’une voix plus rauque que de coutume, comme rattrapée à son tour par une nostalgie contagieuse. Regardant Aerin, elle hésita à lui poser une question plus personnelle. Mais après tout, qu’avait-elle a perdre ? Au pire, elle s’excuserait de sa curiosité mal placée.